• Dieu et la tartiflette

    Dieu et la tartiflette


    J’étais arrêté à un feu et, tout en laissant vagabonder mes pauvres idées, je lisais sur un autocollant autocollé sur la plage arrière de la voiture me précédant cette phrase qui liait instantanément nourritures spirituelles et nourritures terrestres, anglais d’Amérique et français du terroir : "In tartiflette we trust" !
    Ainsi donc, en terre savoyarde certains accordent à ce mélange adroit de pommes de terre, de fromage, d’oignons et de lardons un caractère si divin que le mot tartiflette a remplacé celui de « God » dans le fameux adage patrioto-protestant… Essayons d’analyser.


    Pour croire en la tartiflette, il faut en avoir eu la révélation. Or donc, un soir d’hiver dans une maisonnette accrochée à la montagne, une brave savoyarde de femme présente à sa maisonnée un plat fumant et dont l’odeur excite les glandes salivaires. Çà fait souvent çà l’hiver. Le père, rentré de la cabine où il a passé sa journée à donner des cannes de remonte-pente à des parisiens qui ne disent même pas merci, tend son assiette au fond de laquelle sourit une vache d’un sourire bovin. On ne saurait d’ailleurs lui en demander plus ! A la vache.
    Les enfants attendent. Le plus petit se lève soudain, part dans sa chambre et rit. A une lettre près, çà faisait un jeu de mot savoyard. Le père l’appelle « reviens à table, tu n’as pas le droit de te lever et en plus çà ne fait même pas un vrai jeu de mot ! ». Le petit revient et pleure, ce qui pour le coup ne ressemble plus à rien.
    La famille mange la tartiflette, c’était bon.
    Ce n’est donc pas ce soir là que la révélation est arrivée.

    Croire en Dieu grâce à la Tartiflette… Pourquoi pas? Paul Claudel a bien eu la révélation derrière un pilier de Notre-Dame. Alors réfléchissez : pour une bonne tartiflette, que faut-il ?
    D’abord  du reblochon… Attention, là, je dis attention ! Le reblochon n’est pas un simple fromage… Pour l’obtenir, il a fallu qu’un paysan, un jour, ait l’idée de fabriquer son fromage à partir de lait rebloché…C’est de là que vient son nom, à ce fromage… Blocher, puis reblocher…reblocher c’est littéralement pincer une seconde fois le pis de la vache… çà vous donne au bout du pis un lait un peu différent…

    Et cela ne suffit pas ! Il faut aussi de belles pommes de terre. Comme vous voulez, de la Belle de Fontenay un soir d’élection de miss France par exemple, ou si vous êtes en Italie la Taratouffli, qui rappelle bien le nom du plat qui nous agite et qui nous mène tout droit vers Dieu…
    Vous l’allez voir !


    La pomme de terre nous vient d’Amérique du sud, introduite, selon la légende, par M. de Parmentier ce qui fit dire à Louis XVI qu’il avait apporté en France le « Pain des pauvres »…
    Quelle chance y avait-il qu’un jour, cette tubercule (qui ne rimait à rien) rencontre ce fromage miraculeusement issu de la réflexion rurale ?
    Presque aucune ! Qui, au XVIeme siècle aurait pu prévoir qu’un jour, dans ces montagnes alors italiennes où ne poussaient que de la gentiane et des edelweiss, la pomme de terre se marierait à ce rond de fromage issu de la dernière goutte…
    N’a-t-il pas fallu que, quelque part, dans l’espace et dans le temps, une pensée supérieure arrange l’Histoire pour qu’une tubercule du nouveau monde traverse les mers sur un navire à voiles, soit adoptée par la cour de France (fille aînée de l’Eglise, ne l’oublions pas !), se répande de champs en lopins, de nord en sud, de plaine en montagne, d’adret en ubac, pour qu’un soir, l’association des producteurs de Reblochon invente dans une Savoie enfin française un plat destiné à nourrir les Parisiens qui ne remercient pas quand on leur tend la perche du téléski…

    N’y a t-il pas derrière ce formidable agencement de l’histoire une volonté inexplicable?
    Comment dire en mots humains que le hasard ne peut pas justifier à lui seul ce que je n’hésite pas à qualifier de miracle… Pourquoi donc hésiterais-je ? Parce-que derrière le mot miracle se cache, comme une grenouille dans un bénitier, l’être suprême, le Grand Horloger, Celui qui est partout et dans tout…
    Et voilà comment, en observant quelques rondelles de pomme de terre fumer dans une bonne odeur de fromage savoyard, on peut rencontrer Dieu, comme Claudel à Notre-Dame…
    Alors quand, dans un embouteillage, vous verrez sur la voiture qui vous précède un autocollant proclamant « In tartiflette we trust » ne riez pas, Dieu ne sera pas loin.


      


  • Commentaires

    1
    ChrysL
    Vendredi 1er Avril 2011 à 01:17
    Avec un petit Apremont, c'est divin. Je vois que les feux lyonnais mènent à des réflexions philosophiques plus efficacement que les embouteillages parisiens. C'est peut-être pour ça que certains ne savent pas dire merci...
    En tout cas, merci à toi, c'est toujours un plaisir de te lire.
    2
    Grandvelle
    Samedi 13 Juin 2015 à 10:40
    Pris dans un rond-point, tel l'autre dans son ambulance, je vois passer cet auto collante... Je me dis que ce ne peut être que du Lixon un tel coup de klaxon....
    3
    Laulafraise
    Mardi 17 Septembre 2019 à 09:39

    J'ai cet autocollant, je l'adore smile

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